Au cours des années, j’ai entendu souvent des gens dire qu’ils ne voulaient pas faire de karaté, ou qu’ils avaient arrêté leur pratique parce qu’ils n’aimaient pas apprendre et/ou pratiquer leurs katas. Dans les arts martiaux japonnais, on les appelle des katas. En kung fu ce sont des Kuen. En Corée on dit poomsae, tul, ou hyung. De plus, ils ne sont pas utilisés seulement par les arts martiaux qui comprennent majoritairement des frappes. Les différents styles de technique d’arme utilisent également des enchaînements prédéterminés. Ceux-ci normalement exécutés à deux. Une étude approfondie en Judo révèle aussi plusieurs katas exécutés a deux, comme le Ju no Kata, le Kimé no Kata, ou le Katamé no Kata, pour en nommer que quelques-uns. L’Association d’Aïkibudo et Kobudo du Québec également les utilisent, notamment le Kihon Nagé Waza, ou “techniques de projections fondamentales”. Et j’en passe sûrement des centaines.
Qu’est-ce qu’un kata.
Bon parfait, on sait que les formes ne sont pas présentes que dans le karaté. Mais que sont-elles? D’une façon simplifiée, les formes sont des chorégraphies de mouvements ou de techniques. Certaines formes sont très traditionnelles ou anciennes. Elles sont parfois présentes dans plus d’un style d’arts martiaux, parfois sous un nom différent, mais l’embusen (l’ordre et la direction des déplacements dans un kata) et les mouvements spécifiques sont les mêmes (à quelques détails près). D’autres sont de nouveaux katas, qui se retrouvent dans seulement un style, voir même une seule école. Encore d’autres sont exécutés avec de la musique pour des démonstrations ou des compétitions. Ceux-ci sont souvent considérés par des puristes comme étant de ‘faux kata’, soit parce que l’on n’y voit pas d’application spécifique, ou parce qu’ils ne sont pas ‘anciens’, passés de génération en génération par des maîtres.
Un kata n’est donc pas une simple chorégraphie, mais à mon avis, ce n’est pas l’origine de la forme, mais la façon dont elle est pratiquée qui la rend une ‘vrai’ ou une ‘fausse’ forme.
Lorsqu’un pratiquant d’arts martiaux exécute une forme, on devrait voir les éléments suivants pour la considérer un kata;
Intention : le pratiquant devrait être en mesure de ‘voir’ la signification des mouvements qu’il exécute. Si, dans le kata « X », il y a un pivot à 270 degrés, ce pivot a une, voir même plusieurs possibles significations. Cette intention est tangible pour l’observateur chevronné.
Technique : les éléments de base des mouvements doivent être présents dans toutes les techniques du kata. L’action des hanches, les déplacements, la direction du regard, etc. Le pratiquant doit être en mesure de combiner stabilité et mobilité au moment approprié non seulement parce que la chorégraphie est apprise, mais à cause de la compréhension du mouvement en exécution.
Logique d’application : Quand on entre dans l’étude du bunkai d’une forme, le pratiquant doit comprendre comment utiliser les mouvements présentés dans le kata de façon appropriée. Certains détails peuvent être changés, par exemple, si l’on exécute un blocage avec la main ouverte ou fermée ne change pas beaucoup pour l’analyse du mouvement. Par contre, si l’on prend une position avant à la place d’une position arrière, l’application peut-être très différente.
Sans la présence des éléments mentionnés plus haut, la personne n’est pas vraiment en train de faire un kata, mais une simple chorégraphie.
Mais à quoi elles servent?
Si nous revenons à notre exemple initial, le Karaté, les Katas sont un des trois piliers de l’entraînement. Kihon (fondamentaux), kata (formes), et kumité (applications ou combats). Là où les Kihon sont considérés comme l’alphabet du karaté, les katas sont la grammaire. Comment ‘conjuguer’ les techniques ensemble pour qu’elle soient applicables et utilisables. Les katas offrent aussi une possibilité de travailler les techniques avec grande puissance dans risque de blessé un partenaire de travail (attention à ne pas se blesser soi-même à cause d’une hyper-extension, par contre!). Ils permettent de faire entrer les techniques dans la mémoire musculaire, pour qu’elles deviennent une seconde nature pour la pratique.
Une fois la chorégraphie de la forme apprise, il est important de passer au Bunkai, à l’analyse ou les possibles applications des mouvements. Dans ce sens, elles nous offrent des scénarios à décortiquer et à comprendre.
Pour les arts moins orientés vers les frappes, comme le Judo et l’Aïkibudo mentionnés plus tôt, les formes servent beaucoup d’aide-mémoire, ou même de registres techniques. Plusieurs techniques contenues dans les katas du judo ne sont pas permis en compétition et sont par conséquent moins pratiquées. Dans notre système, nous utilisons les katas comme répertoires techniques, pour apprendre des enchaînements spécifiques, comme pour les immobilisations au sol ou les étranglements, par exemple, mais aussi comme une forme d’apprentissage de possibilité d’enchaînement. On ne saute pas d’une technique à l’autre sans raison. On passe d’une immobilisation à une autre parce qu’il serait logique de se rendre à celle-là si notre partenaire est en train de s’échapper.
Mais, si on élargit la définition d’une forme un peu…comme pour les sports comme la boxe, par exemple? Oui, oui, vous m’avez bien compris, la boxe. Si on prend un kata comme étant un enchaînement spécifique de mouvements pour ensuite passer à l’application après, les séances de travail avec les mitaines de frappe, les fameuses combinaisons jab-direct-crochet gauche par exemple, pourraient entrer dans la définition d’un kata… un kata très court, certes, mais quand même un kata. L’enchaînement, répété plusieurs fois, entre dans la mémoire musculaire, on travaille ensuite à l’application avec un partenaire, puis en échanger et en combat. Si l’on revient à nos éléments de base pour un ‘vrai’ kata, ils sont aussi présents pour ce genre de travail. L’intention de la frappe pour la faire porter à la bonne distance avec la puissance désirée. Avec une bonne technique pour maximiser l’effet par rapport à l’effort mis dans l’action. Logique d’application pour savoir à quelle distance débuter l’enchaînement ou être capable de l’utiliser dans plus d’une circonstance.
Mais, en plus de tout ce qui vient d’être nommé plus haut, dans les arts traditionnels, peu importe le pays d’origine, il y a également un élément culturel à la pratique d’un kata. C’est un peu de plonger (ou au moins, y tremper un orteil) dans le passé d’un art, de travailler les mêmes choses que des milliers de pratiquants ont travaillé avant nous et même les grands maîtres que nous admirons comme exemple de discipline et de méditation à la pratique de leurs arts.
En gros, je reprend l’expression utilisée par Hanshi Patrcik McCarthy. Les katas sont des matrices d’apprentissage sur lesquels on développe des aptitudes de base, les commettre à la mémoire musculaire, pour ensuite les utiliser dans des situations réelles. Katas de karaté, flow-drills de Kali, enchaînement de frappes sur des mitaines pour la boxe ou le muay thai, des drills de Jujutsu brésiliens, sont tous des enchaînements de mouvements prédéterminés qui peuvent, à mon avis, être considéré comme des katas. Pour en revenir à l’exemple des personnes qui arrêtent de pratiquer le karaté parce qu’ils n’aiment pas les kata, on devrait alors dire qu’ils n’aiment pas ce ‘genre’ de kata. Car s’ils poursuivent la pratique martiale ailleurs, les chances sont très grandes qu’ils en pratiqueront d’autres.